« L’année prochaine à Jérusalem », une prière nostalgique, fédératrice et proférée avec ferveur pendant Yom Kippour et Pessah depuis la chute de Jérusalem, chute provoquée par un conflit avec les Romains entre 66 et 73. À la fin du conflit, les Romains interdisent aux Juifs survivants de retourner à Jérusalem. C’est le début de l’exil, vécu à partir de la promesse de l’Exode initial. Un État de diaspora s’est inscrit dans le temps et a progressivement intégré l’ADN juif. Sans état, sans nation, un peuple apatride.
La promesse de retour en Israël est finalement tenue. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les Juifs voient la création d’un véritable État sur le territoire de la Palestine, le 14 mai 1948. Il ne faut cependant pas penser que la Shoah est l’unique cause de la création de l’État hébreu, bien que sa construction ait été fortement influencée.
La Seconde Guerre mondiale : un génocide
Le 3 septembre 1939, la Seconde Guerre Mondiale est déclarée. Elle voit grandir en son sein la Shoah. Près de 6 millions de Juifs sont massacrés au prix de diverses organisations, des Einsatzgruppen à la solution finale et ces chambres à gaz. Le massacre des Juifs commence avec l’invasion allemande de l’URSS, le 22 juin 1941. Aux termes de cette année, 80% des Juifs de Lituanie ont déjà été massacrés. À l’aube de 1943, ce sera ensuite le cas de la majorité des Juifs de la partie occidentale de l’Ukraine et de la Biélorussie. Ces tueries sont effectuées par les Einsatzgruppen, des groupes d’intervention de la Waffen SS qui massacraient les juifs villages par villages. Ces milices s’appuient sur les populations locales pour perpétuer leur sombre besogne, en atteste la Cartea Neagra de Matatias Carp.
En janvier 1942, une conférence est organisée à Wannsee, afin de coordonner la mise en œuvre de la « Solution finale de la question juive ». Cette organisation de la mort revêt un véritable caractère industriel, il existe une administration de la mort.
Les Juifs de Palestine et du Maghreb ont eux aussi vécu le conflit. En Palestine, les sionistes ont mené une véritable guerre aux côtés des anglais. Ils font face aux Deutsches Afrika Korps qui est le quartier général des divisions allemandes de Panzer, dirigé par Erwin Rommel à partir de 1942. Ces forces créées le 19 février 1941 sont envoyées au soutien de l’Italie pour conquérir la Cyrénaïque. Pour lutter contre cette division, les sionistes mettent au service de l’armée britannique le Palmah et la Haganah. L’ensemble de ces deux organisations regroupent environ 30 000 hommes, qui seront entraînés et commandés par l’armée britannique contre les forces du IIIème Reich.
Autre lieu de tension, Hadj Amin al-Huseini, le dirigeant du Haut comité Arabe, fuit et appelle à l’extermination des Juifs sur le modèle allemand.
Il a fallu au sortir de cette guerre trouver des solutions durables pour protéger les Juifs.
L’État d’Israël : une construction sur le long terme
Georges Bensoussan, dans son œuvre Un nom impérissable, déconstruit l’idée selon laquelle l’État d’Israël serait né de la mauvaise conscience des puissances occidentales et d’une compensation donnée aux Juifs pour les malheurs. En effet, la création de l’État d’Israël est le fruit d’années de travail acharné de la part des sionistes du monde entier. À la fin du XIXème siècle, on commence à voir d’une part le début d’une entraide juive à l’international ainsi que les premières idées d’immigration massive en Palestine.
Cette aube de sionisme voit l’avènement de son plus fervent défenseur et instigateur : Théodore Herzl. Il apparaît comme le véritable point de départ du sionisme tel qu’on le connaît aujourd’hui. En 1896, ce journaliste austro-hongrois publie Der Judenstaat qui comme l’indique son sous-titre est une « tentative d’une solution moderne à la question juive ». Il y explique que la résolution du problème juif passe par la création d’un État en accord avec les grandes puissances. Pour la réalisation de ce projet, il multiplie les démarches sur deux axes : mobiliser les populations et obtenir le soutien des puissants. En 1904, T. Herzl meurt sans succès effectif. Il a toutefois planté les graines que ces successeurs feront germer.
Deux hommes apparaissent comme ses héritiers, David Wolffsohn et Max Nordau, qui optent pour la création d’un fait accompli en encourageant à une émigration massive face à l’échec des négociations. Cette solution est paraphée par la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 qui assure du soutien officiel britannique au projet sioniste en évoquant un foyer national juif avec un respect des populations sur place.
Ainsi dans l’entre-deux-guerres, on observe une immigration massive. Quelques 177 000 Juifs se déplacent en Palestine en plusieurs Alyotes. Cette arrivée massive conduit à une structuration de la colonie sur différents plans démographiques, économiques et politiques. Le sionisme n’est donc pas l’enfant de la Shoah.
L’État d’Israël : le pas de géant après les massacres
Ainsi, si la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement la Shoah ne sont pas à proprement parler les causes de la création de l’État d’Israël, il est possible de considérer comme le fait Elie Barnavi dans son œuvre Une histoire moderne d’Israël qu’ « Hitler a été le levier le plus puissant ». La Shoah a créé des esseulés, des apatrides, des orphelins qu’il fallait abriter et sauver. Apparaissait donc la nécessité de la création d’un État pour les Juifs, pour qu’ils se protègent. Ce génocide a donné une preuve irrévocable du besoin des Juifs de se prémunir.
Les britanniques mettent fin à leur mandat sur la région le 14 février 1947. Celui-ci passe sous contrôle de l’Organisation des Nations Unies. Entre avril et mai, une réunion de l’ONU se tient durant laquelle les sionistes obtiennent le soutien de l’URSS et des États-Unis. Le 15 mai, un comité, l’UNSCOP (Comité spécial des Nations unies sur la Palestine) est créé afin de rechercher un plan de partage de la Palestine. Malgré l’opposition et le refus de coopérer du Haut Comité Arabe, la résolution 181 est votée (33 votes pour, 13 contre et 10 votes blancs). Celle-ci prévoit la partition de la Palestine en deux États, juif et arabe, démocratiques et respectueux des différentes populations, un départ des troupes britanniques et une internationalisation de la ville de Jérusalem.
Après un an de conflit entre les arabes et les populations juives, l’indépendance de l’État d’Israël est prononcée le 14 mai 1948 par David Ben Gourion. Le projet sioniste est enfin mené à son terme. Après cette création, viendra la construction d’une nation, un État, ce qui, au sortir d’un tel bouleversement est un véritable défi et engendre des tensions.
La Shoah, tout à la fois massacre et crime contre l’humanité mais aussi levier colossal dans la création du nouvel Israël, a montré la haine qui existait contre les Juifs et la nécessité qu’ils avaient de se protéger contre le monde. Ce génocide a toutefois bouleversé la construction de l’État d’Israël. Il a soulevé passion, colère, et peur. L’État d’Israël s’est progressivement construit autour d’une dureté contre le monde extérieur. En parallèle, un travail de mémoire a été effectué. Ainsi, de victime, le Juif est devenu témoin et de témoin, il s’est transformé en soldat. D’un Primo Levi (Si c’est un homme) à un Elie Wiesel (La nuit, L’aube puis Le jour).